L’accueil des personnes exilées en France : une solidarité en danger

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À la fin de l’été 2015, les autorités françaises ne pouvaient que se rendre à l’évidence de ce qu’il se passait de l’autre côté du continent : une crise humanitaire en Grèce déjà affaiblie par sa situation économique, des tensions entre les États membres, en particulier avec les pays du groupe de Visegrad, et un extraordinaire élan de solidarité, notamment en Allemagne et en Suède. La France s’est alors alignée sur l’Allemagne qui menait la réponse européenne à la « crise des réfugié·e·s » même si ce soutien n'a pas été unanime au sein de l’exécutif français.  

On s'aime vue d'une rue avec une affiche street art "On s'aime "

Lorsque des centaines de milliers de personnes ont commencé à arriver sur les côtes grecques en 2015 pour se diriger principalement vers l’Allemagne et la Suède, la France a tardé à prendre pleinement conscience du niveau et de la nature des défis auxquels l’UE devait faire face. Au départ, les pouvoirs publics n’ont pas compris qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un enjeu d’immigration irrégulière mais, avant tout, une question de protection internationale de personnes réfugiées. Par exemple, lorsque la Commission européenne a proposé un premier programme de répartition de demandeurs d’asile en mai 2025, le Président Hollande s’est déclaré hostile à ce qu’il a erronément appelé des « quotas de migrant·e·s » considérant que la France recevait déjà une part importante des personnes exilées en Europe. 

À la fin de l’été 2015, les autorités françaises ne pouvaient que se rendre à l’évidence de ce qu’il se passait de l’autre côté du continent : une crise humanitaire en Grèce déjà affaiblie par sa situation économique, des tensions entre les États membres, en particulier avec les pays du groupe de Visegrad, et un extraordinaire élan de solidarité, notamment en Allemagne et en Suède. 

La France s’est alors alignée sur l’Allemagne, qui menait la réponse européenne à la « crise des réfugié·e·s »,  même si ce soutien n'a pas été unanime au sein de l’exécutif français. 

Une autre expérience de la « crise des réfugiés » de 2015

Il est vrai que la France n’a pas connu la même situation que l’Allemagne. La « crise des réfugiés » était bien à la une des médias et des discours politiques mais celle-ci n’a pas été aussi tangible pour les Français qu’elle ne le fut pour les Grecs, les Allemands ou les Suédois. Si leur nombre a augmenté de 20 %, la France n’a enregistré que 80 000 nouvelles demandes d’asile en 2015. Néanmoins, comme ailleurs en Europe, la publication de la photo d’Aylan Kurdi le 3 septembre 2015 a suscité une forte émotion au sein de la population française. De nombreux citoyen·ne·s, touché·e·s par la situation des centaines de milliers de Syrien·ne·s qui fuient la guerre, ont exprimé leur solidarité avec ces réfugié·e·s et leur volonté de participer à leur accueil. 

Des propositions de bénévolat et de dons ont afflué dans les associations, des collectifs se sont créés sur l’ensemble du territoire, appuyés par des centaines de maires qui se portaient volontaires pour accueillir des réfugiés dans leur commune. Or, ces réfugié·e·s syrien·ne·s ne sont pas massivement arrivés en France. Lorsque le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides s’est rendu dans un centre d’hébergement à Munich en septembre 2015, il n’a réussi à convaincre qu’une poignée de Syriens à monter dans un bus pour venir en France. 

En fait, ce sont davantage des facteurs internes à la France qui permettent à cette volonté de solidarité de se matérialiser sur le terrain. À cette époque, le gouvernement français s’apprêtait à ouvrir de nombreux centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) pour remédier à la pénurie structurelle d’hébergement pour cette population. Le nombre de place d’hébergement passe alors de 40 000 à 100 000 en cinq ans. La priorité était d’ouvrir ces centres dans les régions qui traditionnellement recevaient moins de demandeurs d’asile et de désengorger les grandes villes, en particulier Paris. C’est également à cette période que des campements informels d’exilés se sont multipliés dans la capitale et à Calais. Des opérations d’évacuation et de mise à l’abri ont débuté dès le printemps 2015 à Paris puis à l’automne 2015 à Calais. Entre juin 2015 et novembre 2016, 23 000 personnes sont évacuées des camps parisiens. En octobre 2016, les autorités ont décidé de démanteler le camp principal de Calais. 5 400 personnes sont alors réparties sur l’ensemble du territoire. Les pouvoirs publics ont alors créé des dispositifs d’hébergement dérogatoires destinés à offrir un lieu de transit aux personnes migrantes avant une éventuelle orientation vers la demande d’asile. Des centaines de ces centres ont ouvert dans toute la France, en particulier dans des territoires peu denses dans lesquels des bâtiments sont disponibles et abordables. 

Que ce soit pour les habitants du Nord-Est parisien et du Calaisis ou pour ceux des territoires d’accueil des migrants, la question migratoire est devenue une réalité palpable. La situation des personnes exilées dans les campements a suscité une urgence à agir pour certains habitants de ces quartiers afin de leur apporter, d’abord, une aide matérielle. 

La création des centres à travers le pays a contribué par ailleurs à rapprocher une partie de la population de la réalité de l’exil et un mouvement spontané d’accueil et de solidarité. 

Les associations ont alors reçu des centaines de propositions de bénévolat ou d’hébergement par des familles. Ce contexte a favorisé également l’essor de nouveaux types d’engagement. À côté des organisations opératrices de l’État et des associations caritatives ou militantes implantées de longue date en France, de nouvelles initiatives sont apparues, plus ou moins structurées, afin d’offrir un meilleur accueil aux personnes exilées. 

Une mobilisation citoyenne diverse et locale mais peu visible

L’élan de solidarité de 2015 a pris plusieurs formes. De nombreux bénévoles ont proposé des cours de français, une aide à la mobilité ou un soutien scolaire à des personnes hébergées en centre d’accueil, notamment en milieu rural. À côté de cet engagement classique au sein d’associations déjà constituées, des collectifs de citoyens, informels ou structurés en association, ont émergé de la base. Il s’agissait généralement d’initiatives locales de personnes confrontées aux réalités et aux besoins qu’elles constataient en bas de chez elles et auxquels l’État n’apportait pas de solution. Le premier besoin était souvent celui de trouver un hébergement pour les personnes exilées qui faisaient face à une pénurie de place en centre d’accueil ou en sont exclues du fait de leur situation administrative. Des lieux d’accueil temporaires et alternatifs ont vu le jour dans des zones frontalières, comme à Calais, Briançon ou au Pays basque. Mais l’hébergement chez l’habitant, souvent appelé l’hébergement citoyen, s’est aussi développé sur l’ensemble du territoire. Enfin, de nouvelles associations ont pris de l’ampleur ou se créent à partir de 2015 mettant au centre de leur démarche la création de liens avec la société d’accueil. Certaines se sont spécialisées sur l’insertion professionnelle et l’inclusion sociale des personnes réfugiées. Elles se sont davantage tournées vers le secteur privé pour leur financement surtout pour faciliter l’embauche des réfugiés. Elles sont le signe d’une mobilisation citoyenne qui a aussi touché le monde de l’entreprise et leurs collaborateurs. 

Si les associations travaillant sur les questions d’insertion professionnelle ont bénéficié d’un soutien de l’État grâce à une augmentation des moyens publics sur l’intégration des réfugiés depuis 2018, les autres formes d’engagement, plus locales et à la marge des objectifs des politiques publiques d’accueil, sont, au pire, dénoncées par les autorités, comme à Calais ou à Briançon, ou, au mieux, à peine tolérées par celles-ci. C’est le cas de l’hébergement citoyen. Ce dernier a connu un extraordinaire coup de projecteur en 2022 avec l’accueil des déplacés d’Ukraine. Une part non négligeable d’entre eux ont trouvé refuge chez des Français·e·s. D’abord hésitant, le gouvernement a ensuite valorisé, soutenu et accompagné cette mobilisation mais de façon limitée et temporaire.

Dans une étude publiée en novembre 2023, Synergies migrations a tenté de faire un état des lieux de l’hébergement citoyen dans la région lyonnaise en 2022. Synergies migrations a recensé 1 254 personnes accueillies dans le département du Rhône, dont 43 % de personnes provenant d’Ukraine. Ces données ne sont pas exhaustives et ne prennent pas en compte les initiatives individuelles d’accueil, notamment de la part des diasporas, qui se réalisent en dehors d’un projet collectif. Mais ces chiffres démontrent que l’hébergement citoyen contribue de manière non négligeable à l’accueil des personnes migrantes sur le territoire. De plus, derrière des associations comme le Service jésuite des réfugiés (JRS France) et Singa/J’accueille qui ont une visibilité nationale, on constate que cet accueil citoyen est largement réalisé par des collectifs très locaux, liés à l’Église pour le cas lyonnais, et ne disposant que de très peu de moyens. 

Un écosystème fragilisé par le contexte social, financier et politique en France

Dix ans après la « crise des réfugiés » et trois ans après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, l’élan de solidarité semble s’essouffler en raison d’un contexte social, financier et politique qui ne cesse de se dégrader. Les personnes bénévoles sont traditionnellement des personnes relativement âgées ayant le temps et une certaine aisance financière. Or, d’un côté, cette population vieillit et, d’un autre côté, les plus jeunes subissent la paupérisation de la société. L’inflation, le manque de logement, les incertitudes sur l’avenir sont autant de freins à l’engagement pour les autres. En parallèle, on observe un désengagement de l’État dans le soutien à la société civile. Des coupes budgétaires ont frappé le domaine de l’intégration des réfugiés dès 2024 puis, en 2025, le secteur de l’accueil des demandeurs d’asile et les questions sociales en général. 

Enfin, le contexte politique français est marqué par un discours anti-immigration et par une instabilité politique inédite dans le pays. À cet égard, la dernière loi sur l’immigration, promulguée le 26 janvier 2024 à l’issue d’un parcours parlementaire chaotique, est devenue le symbole de l’instrumentalisation politique des enjeux migratoires et de la polarisation du Parlement français. Outre les effets directs sur les personnes concernées, la loi et les débats sur l’immigration, qui n’ont pas baissé en intensité depuis, ont des conséquences collatérales sur les personnes qui s’engagent auprès des personnes exilées. Elles peuvent se sentir stigmatisées face à une atmosphère de plus en plus hostile à l’immigration, y compris au sein de leur voisinage ou de leur cercle familial. De plus, la précarisation juridique et sociale des personnes migrantes a été renforcée par la numérisation des relations avec l’administration des étrangers. Les défaillances de cette dernière maintiennent les étrangers dans des situations de rupture de droits, y compris lors du renouvellement des titres de séjour, sans possibilité d’avoir un contact humain avec un agent public. Ces situations font apparaître un sentiment croissant de fatigue et d’impuissance face à la détresse sociale et, de plus en plus souvent, psychologique des personnes exilées. 

En 2018, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle au principe de fraternité, inscrit dans la devise française aux côtés de la liberté et de l’égalité. 

Cette reconnaissance était celle du combat de Cédric Herrou qui portait assistance et un abri aux nombreux migrants dans la Vallée de la Roya et qui était poursuivi par les autorités pour cela. Malgré cette victoire juridique et symbolique, la fraternité avec les personnes exilées est aujourd’hui de plus en plus stigmatisée et empêchée, y compris par des membres du gouvernement, qui n’hésitent plus à accuser les associations d’aide aux migrants d’être contre la volonté du peuple français et leur sécurité. Ce retournement des valeurs constitue un signe de méfiance envers la participation citoyenne qui est pourtant un pilier essentiel de la démocratie libérale française. 

 

Les opinions et points de vue énoncés dans cet article ne reflètent pas nécessairement ceux de la fondation Heinrich Böll Paris.